beach fossils
Il suffit de regarder la photo de Dustin Payseur, sa sombre aura piégée en pleine lumière au centre de ses Beach Fossils, pour s'en convaincre: le groupe de Brooklyn n'a pas fini de rayonner tout au long de cette année avec son album éponyme. Un rayonnement qui prend d'ores et déjà des allures de ce qu'il n'est pas.
Beach Fossils, un album que trop entendent mais n'écoutent pas, risque donc de clouer le bec des lofisceptiques qui se tromperont une nouvelle fois de proie avec cet album mid-fi, pour le coup. Et risque tout aussi bien de semer le trouble parmi ses zélateurs. Car le grand album de l'année, d'une évidence pop troublante et rarement entendue depuis un bail, puise sa force dans sa capacité à diffuser une profondeur embrumée qui donne le vertige et que peu lui reconnaîtront, préférant se borner à évoquer une prétendue beach-pop frivole et ensoleillée.
Cet album a pourtant plus à voir avec quelque chose de dense et hyper chaud, certes apparenté à la beach pop de Real Estate et dont la genèse date déjà des premiers titres sortis par Dustin Payseur l'année dernière (Daydream, Vacation), mais complètement refroidi par la cold-wave ou le shoegaze. Comme s'il y avait une marée noire entre Beach Fossils et Real Estate. Comme si la torpeur de ces derniers avait été diluée dans le côté glacial du Ceremony de New Order. Comme si Payseur avait réussi le jumelage rêvé entre des villes où tout a un jour commencé (Ridgewood, Macclesfield, Crawley, Glasgow).
Pour expliquer le phénomène Beach Fossils, il faut aller chercher du côté d'un rayonnement diffus. Sa musique est dans l'air, et vous accompagne en toute circonstance, au fur et à mesure des écoutes conscientes ou inconscientes. Pas psychédélique ou mystique pour un sou, mais au contraire orchestrée par un agencement fascinant de constantes universelles actuelles (entendez shoegaze, cold wave, beach pop, garage, jangle pop, kiwi pop). Forte d'une innocence maîtrisée et parfois d'un cynisme à mi-chemin entre les Strokes et Blank Dogs (Golden Age).
De façon frappante, le rayonnement Beach Fossils signifie vraisemblablement beaucoup plus et sa mise en évidence dépasse le cadre de la simple collection de meilleures chansons de l'année (Lazy Day, Golden Age, Window View). En effet, Dustin Payseur diffuse avec Beach Fossils un malaise à bas bruit, dans toutes les directions, en puisant son inspiration dans la nostalgie et dans le concept américano-américain de "suburbia". Comme si Crystal Stilts se retrouvait aux génériques de Gus Van Sant. Beach Fossils pousse jusqu'au bout du bout la logique de groupes qui ont la nostalgie ancrée au plus profond de leur très jeunes âmes sans réellement savoir de quoi il retourne. De groupes coincés en pleine "mild-life crisis" documentant l'ennui gentillet.
Les chansons de Beach Fossils laissent tour à tour une impression d'un son Factory confiné dans une chambre à coucher, de beach-pop fantasmée au travers de stores vénitiens, ou de C86 passé au filtre (polaroid) de la suburbia. Ces chansons sont comme autant d'impressions hipstamatiques. Et pourraient déjà pousser à son paroxysme le concept fumeux d'une "pop hipstagogique" tout juste inventé (ce néologisme ayant été mentionné pour la première fois mais dans un autre contexte par le blog All, Everyone, United). En ce sens, Beach Fossils est un fantastique premier album qui fait office de manifeste et de précis (34 minutes) d'un mouvement musical dont les contours sont encore à délimiter et dont on peut s'amuser à trouver de nouveaux représentants. Un Seventeen Seconds de The Cure moderne et relevé à la sauce hipstagogique, regorgeant de lignes de guitares à se pâmer (Youth). Tout aussi brillant mais guère plus guilleret.
[mes chouchous]
RépondreSupprimerExcellente découverte ! Un de mes disques préférés de 2010 ... assurément !
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